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Serge JONCOUR Repose-toi sur moi

Publié le par Nadine Doyen

Une lecture de Nadine DOYEN

  Repose-toi sur moi   Serge Joncour   Flammarion ( 427 pages  21€)

                        Rentrée littéraire  2016   Parution le 17 août

 

Quel plaisir de retrouver un auteur que l'on affectionne !

 

Le douzième roman de Serge Joncour s'inscrit dans la lignée de L'amour sans le faire.

Une femme, un  homme, des voisins qui s'ignorent, habitant le même bâtiment.

 

Pour Aurore Dessage, femme hyperactive, qui jongle avec les aléas du quotidien et son  triple rôle de mère, épouse et businesswoman, faire une pause, le soir,  dans  la cour arborée  de son immeuble parisien, est vital.  Cet îlot de verdure qu'elle se plaît à cultiver reste son havre de paix, sa « bouffée d'air », « un vrai sas »,  son refuge jusqu'au jour où des « croassements glaçants » ont supplanté les «  gazouillis épars, les sifflotements des merles » . Traverser la cour de nuit devient sa hantise. Mauvais présage que  ces oiseaux de malheur qui semblent la défier, « se jouer d'elle ».

 

 L'auteur focalise notre attention sur Aurore et Ludovic  depuis  leur rencontre fortuite dans cette cour,  cette «  petite campagne ».  Scène incroyablement  hallucinante,  digne d'un film d'Hitchcock : croassements, hystérie des « bêtes affolées ». Suspense.

 

Mais qui est ce parfait inconnu, qui sait si bien la deviner ? Un oxymore vivant, déraciné, qui a dû s'approprier les codes du monde Urbain.Ludovic, avec son « mètre quatre-vingt quinze pour cent deux kilos » en impose. C'est préférable pour son métier de  recouvreur de dettes. Souvent confronté aux difficultés des ménages qu'il visite, il restitue le pouls de la France des  banlieues.

Des vies minuscules en voie de paupérisation.

 

  Avec beaucoup de finesse, Serge Joncour décrit l'évolution des sentiments d'Aurore et de Ludovic, ce voisin qui exacerba sa peur. Aucun attrait immédiat entre eux. Ils se croisent, se jaugent, s'épient. Il la toise. Échanges secs. Son « ton faussement jovial », son humour l'insupportent. Elle le trouve « plouc ». Pourtant elle a envie de le revoir ce « colosse » aux « mains de matamore » qui a compris sa phobie. Comment interpréter ce «  petit cadeau » du « plumeau », trouvé dans sa boîte ?  Une façon d ' apprivoiser l'autre ? La fascination opère insidieusement.

 

 Après avoir été source de frayeur, la cour retrouve sa quiétude et revêt un rôle majeur. L'« infime forêt » devient leur jardin secret, leur cocon, le théâtre des balbutiements de leur idylle ( un instant d'abandon), le berceau de leurs ébats ( étreinte totale) et le témoin d' instants volés entre les deux amants. Leurs fêlures les rassemblent mais ralentissent leur fusion amoureuse. Ces deux-là s'accrochent l'un à l'autre comme à une bouée de sauvetage.  Les liens se nouent, les mains se frôlent, se caressent, les corps se fondent. Aurore trouve en Ludovic une écoute , «  un rempart », un soutien et vit chaque rencontre comme «  une pure parenthèse, un dépaysement ».

 

Voici Aurore, en plein maelström,  écartelée entre  la raison et le coeur,  taraudée par la culpabilité, cédant à la panique,  plongée dans ses atermoiements : revoir Ludovic ou l'éviter et  «  effacer ce moment » de sa mémoire.

 L'ironie du destin :  Aurore, revenue en catastrophe, découvre que celui qu'elle a pris pour « un prédateur, un nuisible » n' est  autre que Ludovic, l'homme providentiel, envers qui elle ne peut être que  doublement reconnaissante ! Comment le remercier d'avoir limité les dégâts ? Pour les mômes, admiratifs, le « doux géant », qui «  se sent d'ailleurs », devient  le « superplumber », leur héros.

 

Serge Joncour se révèle un subtil entomologiste des coeurs, traquant les méandres du désir charnel, vertigineux,  pour ces deux amants au désert affectif. Il offre des pages «  ardentes », sulfureuses, du 37°2 et habille son écriture de tendresse , de douceur et mieux encore de sensualité. Il met en exergue  l'emprise que peut avoir un être sur un autre. Ludovic reconnaît que « jamais personne ne l'avait ensorcelé à ce point ». Il est prisonnier de cette dépendance amoureuse, « dangereusement attaché », possédé. Puis se retrouve impliqué dans un sac de noeuds invraisemblable propice à alimenter le suspense. Que fait le fusil dans son coffre ? Que fomente-t-il ? Comment expliquer ses accès de rage, son impulsivité, ses coups de sang ? N'a-t-il pas «  tout envenimé » ?

 En fin de compte, Aurore est-elle  pour Ludovic une bénédiction ou sa plus grande malédiction ?  

 

Au lecteur d'en juger à travers leurs portraits très fouillés que Serge Joncour brosse, avec maestria, les suivant en parallèle dans leur vie professionnelle. Des destins protéiformes  pour ces deux êtres, happés par une succession d'imprévus, d'embûches, d'embrouillaminis,  au bord du précipice, à la dérive. L'incursion dans le monde du travail montre la loi implacable de la concurrence.

 

 Aurore Dessage, styliste, conjugue innovation et le savoir faire «  made in France ».

Elle sait  que « le business , c'est soit tu bouffes les autres, soit tu te fais bouffer », «  c'est comme monter sur un ring, il faut donner des coups, sans quoi c'est toi qui en prends ». L'auteur livre un vif témoignage de notre époque où le profit l'emporte sur la qualité et glisse un clin d'oeil indirect à la ville de Troyes et son passé de la bonneterie si florissant.

Un différend  oppose « la patronne » à son associé, Fabien, qui mise lui sur le profit, et privilégie le commerce avec la Turquie, la Chine. Les tensions dues à leurs objectifs divergents gangrènent leur relation et  menace l'avenir de leur petite entreprise en pleine tempête, alors que  son mari, «  leader de l'hébergement de start-up »,  «  contaminant de succès » déborde de projets depuis qu'il a fusionné avec un groupe américain. Comment tout assumer seule quand on se retrouve en butte aux problèmes économiques ? Sur qui compter ? Son mari?

Aurore voit son couple se déliter par manque de disponibilité à l'autre. Difficile de communiquer avec un époux distant, avachi devant la télé, de plus en plus sollicité, hyper connecté, souvent à l'étranger, avec qui l'échange se réduit  parfois à «  un geste d'un condescendance glaciale ».

 

Aurore n'est-elle  pas au bord du découragement et du burn out, rendue  à sa déréliction, quand elle croise Ludo, du genre altruiste,  prêt à  l'aider, à l'accompagner à un rendez-vous  d'affaire ?

Nouveau dilemme cornélien : sauvegarder son couple, ses enfants ou refaire sa vie.

 

Si Serge  Joncour a opté pour un ton plus grave, il ne se départit pas de son humour, et nous offre des intermèdes plaisants (  la «  chorégraphie parfaite des serveurs ») ou  hilarants  comme l'essayage de pantalons. Comment ne pas rire de concert avec les vendeuses à la vue de « la cabine prise de spasmes » !

 

En filigrane, Serge Joncour  renoue avec la dualité ville/campagne. Pour Ludovic, que Paris «  tend comme un ressort », le retour aux sources dans  la vallée de Célé lui offre ce « bol d'air » salvateur. Dans cette nature, « l'environnement se foutait pas mal de son gabarit », de sa stature si imposante. Il pose un regard poétique sur la capitale aux multiples perspectives, sur la Seine.  Avec tact et pudeur il évoque le désarroi de ceux qui voient leurs aînés se dégrader,  ainsi que la maladie,le deuil.  Il soulève la délicate question d'aimer de nouveau  tout en restant fidèle à celui qui est parti.

 

Serge Joncour signe un  très beau roman complexe, ambitieux, ample, captivant, foisonnant de personnages, en prise avec l'actualité. Le talent de l'auteur est de toujours se raccrocher à l'humain. Il nourrit une  généreuse empathie , profondément sincère,  pour ses protagonistes   (des faibles, des fragiles) devant leurs turbulences intérieures. Chez Serge Joncour, l' histoire, avec ses luttes  et violences sociales, n'est jamais absente de son esprit ou indifférente à sa plume. On retrouve avec délectation le style Joncourien: puissant, écorché vif, cinématographique suscitant tout de suite des images fortes ( corbeaux « jaillissant comme des assiettes au ball-trap », geyser, chute dans l'étang, métaphore du buffle...).

 

Cette love story entre voisins, une passion adultère improbable, « tellurique » teintée de culpabilité, d'autant plus inattendue que tout les oppose, saura tatouer le lecteur de façon indélébile.  En quittant  ce roman prégnant, le lecteur va, lui aussi, rêver d'entendre une voix bienveillante, lénifiante qui l'apaisera par son invite : «  Repose-toi sur moi ». «  Double sens quand tu nous tiens », déclare Serge Joncour, en écho au titre magnifique. Un livre, tour à tour, touchant, drôle, inquiétant, violent, poétique, poignant, tendre, nostalgique, hypnotique à ne pas laisser au repos et qui  ne vous laisse pas au repos ! Il enflamme et séduit .On souscrit. 

 

Serge Joncour trace son sillon , sans tapage,  et s'impose  parmi les cadors de sa génération.          

 

                                                           Stylissime.

 

Chronique de Nadine Doyen

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